Cette terminologie déclenche en moi de si violentes réactions que d’une part, je ne sais pas par où commencer, d’autre part, c’est moi qu’il faut alors qualifier de « difficile » !
Je vais donc commencer par essayer de définir ce que de nombreux usagers de ce terme mettent derrière cette appellation alarmante : cheval insoumis, manifestant des réactions agressives, dangereuses, qui ne se dresse pas comme ils le veulent, qui ne s’éduque pas comme ils le veulent et certainement le retour du fameux cheval « traumatisé-dans-le-passé-par-quelqu’un-d’autre-que-moi ».
Voici à présent ma définition de ce qui est abusivement qualifié de « difficile » : cheval délicat, émotif, à forte personnalité, stigmatisé par manque de compétences, d’intuition, cheval nécessitant du tact, de l’adaptation, de la technicité, de la rigueur à hauteur de la richesse de ce qu’il exprime et qui, jusqu’ici, n’a pas rencontré le bon interlocuteur, victime d’erreur de compréhension, d’interprétation.
Pour ce terrible adjectif, la définition du dictionnaire indique : qui constitue une épreuve, pénible, dur, qui exige des efforts importants, ardu, malaisé, que l’on peine à satisfaire, à supporter.
Envisage-t-on un cheval comme une épreuve en lui-même ? Dur à supporter et satisfaire ? Est-ce donc l’animal qui est difficile ou la situation qui nous échappe par manque d’expérience, de compétences ou d’à-propos ?
« Il y a des chevaux qu’on tutoie et des chevaux qu’on vouvoie », disait un de mes enseignants. Ceux-là, probablement, sont tutoyés au lieu d’être vouvoyés.
Non, je ne juge pas les erreurs des cavaliers plein de bonnes intentions, candides, débutants, naïfs, en devenir. Nous avons tous été débutants, nous avons tous, un jour ou l’autre, été renvoyés dans nos 22 par un cheval moins conciliant que les autres. Même expérimentés, les cavaliers sont confrontés aux limites de leur connaissance et de leur savoir-faire par des chevaux chatouilleux, susceptibles, farouches. Les « bons » cavaliers, même débutants, s’interrogent, se remettent en question, s’adaptent, développant ainsi encore un peu plus leur tact, avançant un peu plus dans la science équestre. Leur cheval, trouve enfin des réponses à ses doléances, par l’écoute et l’offre de solutions, il se révélera mieux encore et sera alors le plus étonnant des complices. Les mauvais cavaliers, tout expérimentés qu’ils soient parfois, passeront à l’attaque, déclareront la guerre, briseront l’animal à moins qu’ils ne s’en débarrassent sous de faux prétextes.
Mais susceptible, chatouilleux, farouche sont-ils les traits d’un caractère « difficile » ? Et à l’opposé, un caractère facile c’est quoi alors ? Effacé, débonnaire, linéaire, calme… ?
Bref, plus une personnalité est extravertie plus on la qualifie de « difficile » à tort car finalement, ces chevaux « difficiles » qui dérangent par leur comportement extraverti ne font qu’exprimer ouvertement, ce que les autres, introvertis, refoulent. D’un côté les bonnes pâtes qui encaissent tout et de l’autre les chatouilleux qui emmerdent le monde !
Il n’y a pas de chevaux « difficiles ». Il n’y a que des chevaux incompris et donc mal employés. Une nature inquiète, une peau délicate, un esprit dominant… Un seul de ces éléments, par exemple, peut justifier des réactions abruptes, sans qu’il n’y ait aucune volonté d’opposition directe, ni de vice, ni d’agressivité. Un animal dominant à juste besoin de rigueur. Sans un cadre juste, il ne comprendra pas sa position hiérarchique, les approximations et les punitions/récompenses inappropriées vont nourrir les malentendus… Sa nature dominante va alors le pousser à trouver de la logique et à prendre les choses en main pour se rassurer si la personne en face de lui n’est pas cohérente. Il n’est pas difficile, il manque juste de repères. Tout comme le jeune cheval en quête de cadre social.
Je plaide pour ceux-là et je plaide aussi pour les « faciles ».
Les premiers méritent plus d’écoute, de compréhension, de délicatesse. Leurs cavaliers devraient, plutôt que d’éteindre la flamme qui les anime pour en faire des animaux dociles, les considérer comme des maitres d’école. Ces chevaux font travailler la nuance des aides et leur à-propos, l’attention, la délicatesse, l’anticipation, l’aptitude au dialogue, à la médiation. Ils exigent un degré de qualité pédagogique d’une grande richesse, ils mobilisent les ressources techniques, les affutent, les développent. Ils appellent à reconsidérer les outils, les aides, les postures, la construction du travail. Il révèle sans appel l’humilité des plus grands cavaliers et l’étoffe prometteuse des futurs grands.
Quant aux seconds, les faciles : braves chevaux, saints chevaux. Ils sont une armée. Les tolérants, les désabusés, les généreux, les courageux. Ils réjouissent une partie des cavaliers qui leur reconnaissent leurs qualités pendant qu’une autre partie les ignore et que d’autres encore en profitent.
Mais pour autant, il est bien intéressant d’accorder autant d’attention à ces gentils soldats pour les encourager à s’exprimer davantage. Car pour progresser, il faut entendre l’écho de nos approximations. Il est donc indispensable que le cheval facile éveille la plus fine écoute chez son cavalier, qu’il soit invité à extérioriser sa personnalité et que toute expression discrète de sa part reçoive encouragement et réponse. Voici encore une voie royale pour créer de la confiance et de la complicité.
Il n’y a pas de chevaux « difficiles », c’est juste nous qui, parfois, n’avons pas la bonne façon de faire ! Plutôt que de se convaincre que nous avons tout essayé ou que rien de fonctionne avec lui, il faut surtout se persuader que nous ne possédons pas la bonne pratique et qu’il faut alors nous remettre en question, chercher d’autres voies, changer nos habitudes, développer de nouvelles connaissances.
Il n’y a pas de chevaux « difficiles », il y a parfois des inadéquations cavalier /cheval. Même avec le plus grand attachement que nous pouvons éprouver pour un animal, il faut avoir la sagesse d’évaluer le plus objectivement possible nos compétences et le niveau exigé par celui que nous aimerions voir devenir notre monture. C’est, en plus d’une question de sécurité, une question de bien-être.
Il n’y a pas de chevaux « difficiles », il y a des jeunes chevaux plein d’énergie et de candeur qui ne savent pas encore comment se comporter avec l’homme, il y a des chevaux manquants d’éducation, il y a des chevaux émotifs, il y a des chevaux qui disent non à des mauvais souvenirs, non à des approximations, non à l’inconnu.
Catégoriser son cheval comme « difficile », c’est hélas renoncer à progresser. Peut-être faut-il privilégier d’autres qualificatifs comme délicat, expressif, réactif qui renvoient une image bien plus positive et ouvrent des perspectives prometteuses.
Maryan
attention que » difficile » n’est pas une notion subjective en equitation , mais une notion objective :
un cheval dit difficile , c’est un cheval qui raidit la hanche du coté concave de l’inflexion quand vous portez ses épaules vers l’intérieur ..
il existe quand même de vrais chevaux difficiles , soit en raison de la finesse de leur ossature , en raison de nerfs excitables , d’une mauvaise direction des épaules , d’une tête trop lourde et mal attachée , de côtes compactes rendant le travail de manège fastidieux et incertain … etc … ils sont plus aisément insoumis , et leur travail est plus dangereux , leurs réactions vives et imprévisibles , souvent excessives … le cavalier est en face de problèmes qui peuvent alterer son moral et sa détermination , les cavaliers sont aussi des êtres humains …
Certes …la complexité de certains chevaux peut rendre la tâche difficile aux cavaliers en les confrontant à leurs limites.
Je découvre votre blog et j’en apprécie la lecture. Ce que vous dites sur les chevaux prétendument difficiles est tout à fait juste. Le cheval a tempérament fort nous oblige à réfléchir et nous adapter à lui, il nous force aussi à le respecter. Ce sont ces chevaux là qui nous marqueront l’esprit et nous ferons progresser car ils nous amènent à changer notre technique et à être humble. L’équitation est un partage, un dialogue. Quoi de plus intéressant que de discuter avec quelqu’un qui a du répondant et de la personnalité?
Bonjour Anne-Sophie et merci pour votre commentaire. Je pense que lorsque l’amour des chevaux nous conduit à l’équitation, peut-être alors que la relation avec celui-ci prévaut sur tout le reste et comme vous le dites si bien : quoi de plus intéressant que de discuter avec quelqu’un qui a du répondant et de la personnalité ! Merci à vous d’employer ces termes : « Quelqu’un » et « discuter ». Merci infiniment.
Les personnalités équines sensibles et extraverties sont passionnantes, enrichissantes, attachantes, exigeantes. Elles nous renvoient à nos faiblesses, appellent adaptation et nuances. En les qualifiant de « difficiles » nous transformons un peu notre propre difficulté en un défaut qui les caractériserait. Ce terme est empreint d’une subjectivité négative pour beaucoup trop de personnes. On trouve donc des chevaux « difficiles » à tort et à travers des conversations de club house et des forums dès qu’un cheval bouge au-delà de ce qu’on attend de lui.
L’équitation n’est certes pas une affaire naturelle (pas plus que de mettre des chevaux dans un pré clôturé et de les laisser tranquille, si l’on y réfléchit), mais nous parlons bien des chevaux que nous pouvons rencontrer dans le cadre de l’équitation, me semble-t-il. Le caractériel qui vit tout seul sur une île déserte ne crée de soucis à personne !
Ce que j’appelle des ratées de la Nature, il est évident que c’est selon notre point de vue. Dans l’absolu, même si elle produisait le pire des monstres, la Nature ne pourrait avoir de ratées, sauf à croire qu’elle a un projet pensé, nous sommes bien d’accord.
Qu’il faille faire (ou justement, parfois, ne pas faire) avec ces chevaux, c’est certain. Mais je reste persuadé qu’il est un peu trop « définitif » d’affirmer qu’il n’existe pas de chevaux difficiles ou de ne voir dans les chevaux difficiles que le résultat de l’intervention humaine. Même si je pense que c’est effectivement souvent le cas, je ne peux me résoudre à dire que c’est toujours le cas. C’est ce mot toujours qui fait toute la différence entre nos points de vue. 😉
Cela me fait penser aux innombrables fois où l’on entend pour une manifestation de peur, une rétivité : » mais il est con ce cheval ! »
Ou pour un cheval qui mord tout ce qui approche de son boxe: » c’est une carne »
Toute une ribambelle de qualificatifs qui ne sont que des raccourcis et qui comme l’explique Maryan évitent de se poser des questions.
On n’aime pas parce que l’on ne comprend pas.
L’équitation n’étant pas une affaire naturelle, je ne pourrais jamais me résoudre à dire que la nature a fauté parce qu’un cheval pose des difficultés à un cavalier ou toute autre personne souhaitant le plier à sa volonté. Si je me fixe à la définition du mot telle que nous la livre le dictionnaire, mot employé à tort et à travers dès qu’un cheval met en difficulté une personne, je ne pense pas que ce soit le cheval qui soit difficile. Je pense qu’il s’agit des situations, de l’inadéquation des caractères, qui confronte l’humain à ses limites. L’animal n’est pas là pour nous aider ni nous satisfaire, il ne demande rien. Il ne s’agit pas d’angélisme, bien au contraire. Croire que la nature est mal faite parce qu’elle ne se soumet pas est bien présomptueux de notre part. Il me parait donc plus judicieux et bien plus enrichissant de se remettre en cause lorsqu’on est confronté à la difficulté. Ce n’est pas le cheval qui est difficile, c’est la situation qui nous échappe et dont nous cherchons, avec facilité, à attribuer la responsabilité à un autre que nous. Un autre qui dans un territoire de quelques centaines d’hectares avec quelques compagnons et réponses à tous ses besoins ne montrerait probablement jamais un comportement « difficile ». Si nous imposons l’équitation (ou toute autre intervention) au cheval nous devons accepter l’idée que cela puisse provoquer en lui des comportements d’opposition. Notre devoir est de réfléchir à nos actes, à ceux des autres, et de chercher les solutions pour que l’intervention humaine devienne acceptable, compréhensible, avantageuse pour le cheval et qu’il trouve des motivations à collaborer. Nous sommes responsables de ceux que nous apprivoisons disait le Petit Prince 😉
Bien sûr qu’il existe toutes les raisons que tu évoques pour faire d’un cheval lambda un cheval difficile et qu’il est souvent plus facile de rejeter sur le cheval la responsabilité de son échec. Je suis bien d’accord avec toi.
Mais je pense qu’affirmer qu’il n’existe pas de chevaux difficiles (parce que caractériels, par exemple), c’est un peu faire de l’angélisme. C’est, à mes yeux, comme de penser qu’une éducation saine dans un monde socialement juste suffirait à faire disparaître toute forme de délinquance. Cela la réduirait drastiquement, j’en suis intimement persuadé, mais de là à imaginer que cela la ferait totalement disparaître, il y a un pas que je ne me risquerais pas à franchir.
Plutôt qu’il n’y a pas de chevaux difficiles, je dirais donc qu’il existe très peu de chevaux difficiles. 😉
La nature ne produit pas que de la perfection. Elle a des ratées, parfois. Pour tout un ras de raison, il existe des « individus à problèmes » dans toutes les espèces. Normalement, l’élevage bien mené est censé réduire le risque de tomber sur un tel individu, mais aussi minime soit-il, il continue très probablement d’exister.