Tourner un film avec des chevaux fascine autant les cavaliers que les passionnés de cinéma. Mais derrière chaque scène de galop, de combat ou de balade champêtre se cache un important travail de préparation, de sécurité et de mise en scène. Pour un résultat réaliste, respectueux du cheval et visuellement percutant, certaines techniques issues à la fois de l’équitation classique et du monde du spectacle sont incontournables.
Préparer le cheval pour le tournage : base d’un film réussi
Choisir le bon cheval pour le bon rôle
Dans un film, tous les chevaux ne peuvent pas tout jouer. La sélection de l’équidé est une étape déterminante :
- Tempérament : un cheval calme, peu émotif, est idéal pour les scènes de proximité avec caméras, micros, figurants et véhicules. Les chevaux plus vifs sont réservés aux scènes d’action, à condition qu’ils soient très bien encadrés.
- Niveau de dressage : un cheval qui répond finement aux aides, connaît le travail en main, les déplacements latéraux et la cession à la pression sera beaucoup plus facile à diriger dans un contexte de tournage.
- Expérience extérieure : un cheval habitué aux concours, à voyager, à travailler dans des environnements bruyants (musique, micro, spectateurs) gère en général mieux le stress d’un plateau de tournage.
- Conformation et look : certaines productions recherchent un type particulier (chevaux de guerre, chevaux baroques, poneys, chevaux de trait). L’apparence physique doit coller au contexte historique ou à l’univers du film.
Désensibilisation au matériel de tournage
Caméras, perches micro, réflecteurs, drones, rails de travelling… autant d’objets potentiellement effrayants pour un cheval peu habitué. Un travail de désensibilisation progressif est indispensable :
- Étape 1 : familiarisation à pied : présenter les caméras, trépieds et câbles d’abord à distance, en laissant le cheval les observer, puis les sentir. Récompenser le calme et la curiosité.
- Étape 2 : mouvement du matériel : déplacer doucement les trépieds, perches et réflecteurs autour du cheval, en augmentant progressivement la vitesse et la proximité, toujours en gardant une issue de fuite psychologique (ne pas bloquer l’animal entre plusieurs objets).
- Étape 3 : bruit et lumière : simuler les conditions de plateau avec voix fortes, clap de tournage, mouvements de figurants et éclairages. Le cheval doit apprendre que ces stimulations n’ont aucune conséquence négative.
- Étape 4 : reproduction des vraies situations : faire venir la caméra à l’épaule, un travelling ou un drone pendant que le cheval est monté ou longé, afin de tester ses réactions avant le jour J.
Condition physique et préparation vétérinaire
Un cheval de cinéma doit être en bonne santé et capable de répéter plusieurs prises sans souffrance :
- Examen vétérinaire préalable : contrôle de la locomotion, des articulations, de la respiration et du cœur, indispensables si des scènes de galop ou de combat sont prévues.
- Entraînement progressif : augmenter progressivement la durée et l’intensité des séances en amont du tournage pour que le cheval supporte la fatigue et les répétitions.
- Soins courants irréprochables : parage ou ferrure adaptée, contrôle des dents, ostéopathie si besoin, pour éviter toute gêne lors de l’effort.
- Gestion de l’alimentation : adapter la ration aux dépenses énergétiques, tout en évitant les excès qui pourraient rendre l’animal trop chaud ou nerveux.
Techniques de mise en scène avec un cheval devant la caméra
Construire une scène crédible du point de vue équestre
Les cavaliers repèrent immédiatement les incohérences (cheval qui ne correspond pas à l’époque, harnachement anachronique, attitude du cavalier inadaptée). Pour rendre un film crédible :
- Adapter l’équitation au contexte historique : position du cavalier, type de selle, mors, enrênements et style de monte doivent correspondre à l’époque (chevalier médiéval, cavalerie napoléonienne, western, etc.).
- Choisir un niveau technique cohérent avec le personnage : un héros supposé excellent cavalier ne devrait pas apparaître en difficulté pour partir au galop ou tenir ses rênes.
- Multiplier les répétitions sans la caméra : mettre en place la scène à pied, puis à cheval, avant d’introduire le matériel de tournage, pour sécuriser les trajectoires et les déplacements.
- Travailler avec un coordinateur équestre : sur les tournages professionnels, ce spécialiste conçoit les scènes avec chevaux, encadre les cavaliers et garantit la sécurité.
Astuce : diriger l’attention du cheval pour une meilleure prise
Le cheval n’a pas conscience de la caméra, mais vous pouvez orienter son regard et son attitude :
- Utiliser des points d’attention : un assistant peut se placer hors champ avec une friandise, un bruit discret ou un objet attirant l’œil du cheval pour qu’il regarde dans une direction précise.
- Jouer sur la décontraction : un cheval mâchonnant légèrement son mors, l’encolure souple et l’œil doux renvoie une image de calme, idéale pour les scènes émotionnelles.
- Exploiter les transitions : les transitions pas-trot, trot-galop, arrêts nets et demi-tours créent des mouvements intéressants à l’image, à condition d’être parfaitement préparés.
Trucs de tournage pour simuler la vitesse et l’intensité
Pour des raisons de sécurité, les scènes spectaculaires sont souvent tournées à des allures inférieures à ce que le spectateur perçoit :
- Filmer en léger ralenti : tourner à une fréquence d’images plus élevée permet de ralentir ensuite la séquence, ce qui amplifie l’impression de puissance et de grâce des mouvements.
- Travellings rapprochés : suivre le cheval de près, au niveau de l’épaule ou des antérieurs, accentue la sensation de vitesse même au trot ou au petit galop.
- Jeu sur le décor : herbe qui vole, poussière qui se soulève, manteaux et crinières au vent renforcent visuellement la dynamique d’une scène sans exiger un galop à fond.
- Multiplication des angles de prise de vue : filmer la même action sous plusieurs angles (face, trois-quarts, profil, contre-plongée) permet au montage de donner plus de rythme à une action initialement modérée.
Filmer les émotions du cheval
Un cheval peut exprimer beaucoup à l’écran, à condition de savoir lire ses signaux :
- Zoom sur l’œil et les naseaux : un plan rapproché sur un regard vif, un naseau dilaté ou un souffle visible au froid traduit la tension ou l’effort.
- Travail sur l’encolure et la posture : une encolure haute, un dos tendu et des oreilles pointées en avant contiennent plus de nervosité qu’un cheval détendu, tête plus basse et oreilles mobiles.
- Exploiter les réactions naturelles : un hennissement, un léger sursaut ou une attention subite vers un bruit extérieur peuvent être intégrés au jeu de la scène, s’ils ne compromettent pas la sécurité.
Sécurité et bien-être : règles incontournables sur un plateau avec des chevaux
Organisation de l’espace de tournage
Le cheval reste un animal de fuite. L’aménagement de l’espace est donc crucial :
- Dégager les issues : toujours prévoir une zone de dégagement pour que le cheval puisse s’éloigner si quelque chose l’effraie, sans se retrouver coincé entre camions, câbles et figurants.
- Gérer les câbles et accessoires : limiter au maximum les câbles au sol sur les trajectoires équestres, ou les couvrir, afin d’éviter qu’un cheval ne se prenne les antérieurs dedans.
- Séparer zone de travail et zone de repos : prévoir un espace calme, abrité du bruit et de l’agitation, où les chevaux peuvent boire, manger du foin et se reposer entre deux séquences.
Préparation des cavaliers et figurants
Que les cavaliers soient des comédiens ou des doublures, ils doivent remplir certains critères :
- Niveau équestre adapté : un acteur débutant ne peut raisonnablement pas assurer un galop en terrain varié, encore moins une cascade. Dans ce cas, une doublure ou un entraînement intensif sont nécessaires.
- Sensibilisation à la sécurité : comprendre les réactions possibles d’un cheval, savoir comment contourner un équidé, quand éviter de crier ou courir à proximité.
- Équipement discret mais protecteur : sous un costume d’époque, il est souvent possible de dissimuler un gilet de protection, voire un casque discret dans certains types de scènes.
Limiter le stress et la fatigue des chevaux
Un tournage peut être long, chaud, bruyant. Pour préserver la santé physique et mentale des chevaux :
- Durée de travail raisonnable : alterner les chevaux si de nombreuses prises de la même action sont prévues (course, combat, chutes mises en scène).
- Hydratation et pauses fréquentes : eau fraîche, foin et éventuellement mash ou compléments énergétiques selon la durée du tournage.
- Observation attentive : surveiller la respiration, la sudation, la locomotion et l’attitude générale pour détecter précocement la fatigue, la déshydratation ou une douleur.
- Respect des températures extrêmes : adapter les horaires de tournage en cas de forte chaleur ou de froid intense, et protéger le cheval avec couvertures ou tonte appropriée si nécessaire.
Cadre légal et éthique
Dans de nombreux pays, la présence d’animaux sur un tournage est encadrée :
- Présence d’un responsable animaux : une personne référente, souvent le dresseur ou le coordinateur équestre, supervise l’utilisation des chevaux et peut suspendre une scène si le bien-être est menacé.
- Respect des chartes de protection animale : certaines productions suivent des directives strictes pour garantir qu’aucun animal n’est blessé ou maltraité à l’écran.
- Transparence des effets spéciaux : les chutes spectaculaires, blessures ou situations de danger apparent sont souvent obtenues grâce à des trucages, doublures mécaniques ou effets numériques, et non par mise en danger réelle du cheval.
Collaboration entre cavaliers, dresseurs, réalisateurs et équipe technique
La place centrale du dresseur ou coordinateur équestre
Le dresseur spécialisé dans le travail de spectacle ou de cinéma fait le lien entre l’exigence artistique et la réalité du cheval :
- Traduire les idées du réalisateur : analyser une scène imaginée (cheval se cabrant, chute contrôlée, combat) et proposer des alternatives réalistes et sûres.
- Préparer les chevaux en amont : travailler les gestes spécifiques (cabrés sur commande, couchers, reculers, franchissement d’obstacles insolites) en veillant à la sécurité.
- Former ou accompagner les acteurs : apprendre aux comédiens à se tenir à cheval, manipuler les rênes, réagir correctement en cas d’imprévu, pour que la scène paraisse naturelle.
Communication avec l’équipe image et son
La réussite d’un film où les chevaux occupent une place importante repose beaucoup sur la coordination entre les spécialistes équins et l’équipe technique :
- Repérages avec le cheval : tester les lieux de tournage avec au moins un cheval avant le jour officiel, afin de repérer les zones glissantes, obstacles dangereux ou éléments potentiellement effrayants.
- Réglage du son : éviter les bruits soudains (claps trop près, explosion non annoncée, effet pyrotechnique imprévisible) qui pourraient faire paniquer les chevaux.
- Choix des angles de caméra compatibles : certaines positions de caméra, trop proches des membres ou du train arrière, sont plus risquées en cas de coup de pied réflexe. Adapter les angles en conséquence.
Adapter le scénario aux capacités réelles
Le script initial prévoit parfois des actions difficiles, voire impossibles à réaliser dans de bonnes conditions :
- Réécriture collaborative : scénariste, réalisateur et coordinateur équestre peuvent re-travailler une scène pour préserver l’intensité dramatique tout en respectant le cheval.
- Fragmentation des scènes complexes : diviser une action en plusieurs segments filmés séparément (départ au galop, franchissement, arrêt brutal) permet d’assurer la sécurité et de faciliter le montage.
- Utilisation de doublures ou d’effets : pour les actions les plus dangereuses, combiner doublures équines entraînées, mannequins, harnais de sécurité et effets numériques est souvent la meilleure solution.
Astuces pour les cavaliers amateurs qui veulent tourner avec leur propre cheval
Préparer un tournage de niveau amateur ou semi-professionnel
De nombreux cavaliers souhaitent réaliser une vidéo, un court-métrage ou un clip avec leur cheval, sans les moyens d’une grande production. Quelques principes restent valables à tout niveau :
- Rester dans votre zone de confort : ne prévoyez pas de scènes plus difficiles que ce que vous réalisez sereinement à l’entraînement. La caméra ne doit pas vous pousser à prendre des risques supplémentaires.
- Tester chaque nouvelle idée sans caméra : un franchissement atypique, un passage dans l’eau ou sous une branche basse doivent être maîtrisés avant d’être filmés.
- Choisir un lieu adapté : terrain sûr, sol non glissant, pas d’axes routiers très proches, absence de dangers évidents (barbelés, trous, objets tranchants).
Idées de scènes visuelles mais accessibles
Il est possible de créer des images très esthétiques sans cascades ni prises de risque :
- Travail en liberté : filmer votre cheval en liberté dans un rond de longe ou un grand paddock, répondant à votre voix ou à vos gestes, donne une impression de complicité très forte.
- Dressage à pied : pas espagnol, jambette, révérence, déplacement latéral à côté de vous… autant de mouvements spectaculaires mais techniquement accessibles avec un bon apprentissage.
- Balade en extérieur : une simple sortie au pas dans un joli paysage (forêt, plage, montagne) peut devenir très cinématographique avec de bons angles et une lumière soignée.
- Scènes au ralenti : filmer des transitions de base, un départ au trot ou un simple arrêt propre, puis les passer au ralenti, met en valeur l’élégance naturelle du cheval.
Matériel minimal et astuces de tournage “maison”
Pour un cavalier amateur, quelques astuces suffisent à améliorer le rendu :
- Stabilisation de l’image : utiliser un trépied ou un stabilisateur (même simple) évite les tremblements qui rendent les images difficiles à regarder.
- Exploiter la lumière naturelle : filmer de préférence le matin ou en fin d’après-midi (lumière dorée, ombres moins dures) pour mettre en valeur les contours et la robe du cheval.
- Préparer un storyboard simple : lister les scènes que vous souhaitez et les angles envisagés évite de faire tourner le cheval inutilement et de le fatiguer.
- Limiter la durée des séances : mieux vaut plusieurs courtes sessions de tournage qu’une longue séance où la fatigue et l’énervement finissent par nuire au cheval et à la qualité des images.
Gérer le comportement du cheval le jour du tournage
Même un cheval habituellement calme peut réagir différemment face au matériel ou à une nouvelle ambiance :
- Prévoir du temps d’adaptation : arriver en avance pour laisser le cheval découvrir les lieux, sentir, regarder, écouter.
- Commencer par du très facile : marcher en main, faire quelques tours au pas, puis seulement introduire les demandes plus complexes.
- Ne pas forcer une scène : si le cheval montre des signes de stress marqués (tension extrême, refus réitérés, transpiration abondante), faire une pause, simplifier la demande ou renoncer à cette idée de scène.
- Récompenser généreusement : friandises, pauses broutage, caresses, voix calme renforcent l’association positive du cheval avec le tournage.
Valoriser la relation cheval–cavalier à l’écran
Ce qui touche le plus souvent le spectateur n’est pas la technique pure, mais la relation entre le cheval et l’humain :
- Plans rapprochés de moments de soin : pansage, massages, préparation des membres, mise en place du tapis et de la selle montrent le quotidien du cavalier.
- Instants de complicité : cheval qui suit son cavalier en liberté, tête posée sur une épaule, marche côte à côte, sont des images très fortes, faciles à tourner lorsque la confiance est installée.
- Authenticité plutôt que performance : un simple pas calme, un arrêt précis, un regard échangé valent souvent plus en émotion qu’une figure spectaculaire exécutée dans la tension.
